La crise énergétique qui se joue actuellement en Europe et se diffuse dans le monde entier sur fond de sécheresse inédite dans l’hémisphère nord vient nous rappeler sans ménagement qu’il est indispensable, tant du point de vue environnemental qu’en matière de sécurité, d’opérer une transition des énergies fossiles vers les énergies renouvelables. Ce que l’on sait moins, c’est que la clé de voûte de cette transition sera la réinvention et la reconstruction des réseaux électriques pour qu’ils soient capables de supporter une distribution plus large de l’électricité et de gérer la demande de façon dynamique. Selon les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’investissement mondial dans les réseaux électriques devra atteindre 820 milliards de dollars d’ici 2030 (contre 260 milliards de dollars en 2020) pour que les projets d’énergie renouvelable nécessaires pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 ° C puissent voir le jour1.
Le réseau actuel n’est plus à la hauteur
Le réseau actuel repose pour l’essentiel sur une électricité produite grâce aux énergies fossiles dans des zones stratégiques et acheminée vers les consommateurs. À l’instar du charbon, ces énergies fossiles étaient bon marché et simples à gérer, puisqu’il est assez facile d’accroître ou de réduire les capacités de production. Mais cette infrastructure vieillissante est souvent incapable d’augmenter efficacement l’offre, de faire face à des conditions météorologiques extrêmes2 ou de répondre à de nouveaux besoins, par exemple la demande liée aux véhicules électriques.
À quoi ressemblera le réseau de demain ?
Le réseau de demain s’appuiera en partie sur des sources qui ne sont pas liées aux conditions météorologiques, par exemple le nucléaire ou l’hydroélectricité, qui seront complétées par de l’éolien et du solaire à plus grande échelle qu’à l’heure actuelle. Pour ce faire, il faudra remplacer les dispositifs de transmission à longue distance et en ajouter, en prévoyant des points de départ potentiellement moins accessibles qu’aujourd’hui (des plateformes offshore ou des zones désertiques notamment) et des hubs capables d’adapter la puissance aux besoins locaux.
Des sources complémentaires viendront de ce qui était traditionnellement des points de consommation (les logements et les usines) via des interconnecteurs reliés au réseau. La complexité accrue et l’intégration horizontale du réseau seront gérées par les hubs, avec des transferts de données directs depuis les points de consommation (en bout de chaîne). En étant mieux informées de la consommation de leurs clients et de l’offre, les entreprises de services aux collectivités pourront optimiser les flux en temps réel. Cette gestion des pics de demande et des charges de pointe aura des avantages immédiats en termes de coûts et de fiabilité et justifiera l’investissement nécessaire à la construction de nouvelles lignes électriques.
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Tour d’horizon
Au fur et à mesure de la mise en service de nouvelles sources d’énergie renouvelable et du vieillissement de l’infrastructure, le développement de réseau progresse. Au cours de la décennie actuelle, selon nous, l’implication stratégique devrait s’intensifier au niveau fédéral aux États-Unis et en Europe, l’objectif étant de bâtir des réseaux plus intelligents, plus efficients et plus résilients. Si notre tour d’horizon porte sur la situation dans trois grands blocs économiques, l’urgence est la même ailleurs. L’opérateur australien Aemo a par exemple publié un projet consacré au réseau futur3 en 2022, tandis que le Japon repense son réseau pour qu’il réponde aux nouveaux objectifs d’énergie renouvelable.4
Europe
La politique énergétique européenne connaît actuellement des turbulences en raison de la disparition soudaine de l’offre russe et de l’envolée des prix qui s’en est suivie. Même si la panique n’est pas négligeable à court terme et qu’il est possible que des différends apparaissent entre les États membres pendant l’hiver 2022/20235, à moyen et long terme, la crise devrait être un catalyseur positif d’intégration européenne pour le développement du réseau de demain et renforcer les capacités d’acheminement de l’électricité d’un pays à l’autre.
Chine
La Chine entend augmenter de façon significative ses capacités d’ici 2025 (elles atteindraient alors 1,36 fois les capacités de 2020) ; elle est consciente qu’il faudra donc rendre le réseau plus flexible. Les enjeux de sécurité énergétique, l’arrivée rapide de nouveaux projets renouvelables6 et la nécessité d’acheminer de l’électricité des zones occidentales vers l’est du pays sont autant de facteurs qui soutiennent l’investissement.
États-Unis
À l’instar de l’Europe, le réseau américain a crû de façon organique, sans planification au niveau fédéral. Les lois récemment adoptées, notamment l’Infrastructure Investment and Jobs Act de novembre 2021 et l’Inflation Reduction Act d’août 2022, comportent des dispositions relatives à l’investissement dans le réseau, mais cela reste loin des investissements nécessaires ; la charge devrait donc revenir au secteur privé. Aucun crédit d’impôt n’est par exemple prévu pour les lignes électriques et les obstacles de type octroi de permis de construire par les États restent problématiques.
Le réseau de demain est déjà là
Le défi mondial du changement climatique résiste aux solutions climatiques. Mais, bonne nouvelle, il est possible et pertinent de bâtir les réseaux de demain. Parmi les technologies investissables, citons :
Les infrastructures de transmission de nouvelle génération
Les entreprises qui proposent des services de transmission (construction de lignes électriques, fonctionnement et maintenance) anticipent une envolée des commandes parce qu’il faudra relier les nouveaux projets renouvelables au réseau. Compte tenu du sous-investissement actuel, le volume de projets essentiels devrait continuer de croître pendant plusieurs années.
Les compteurs intelligents
Les compteurs intelligents offrent aux entreprises de services aux collectivités des informations précieuses sur la consommation et le fonctionnement en bout de chaîne ; aux consommateurs, ils proposent des données en temps réel, ce qui leur permet de prendre des décisions plus pertinentes du point de vue des coûts et de l’efficacité énergétique.
Parce qu’ils travaillent déjà avec les entreprises de services aux collectivités sur la question de l’offre, les fabricants actuels sont aussi en pointe de la fourniture de solutions de gestion de la demande.
Les centrales électriques virtuelles
Le terme « centrales électriques virtuelles » (ou VPP) désigne des réseaux électriques localisés, dotés de leurs propres points de production, de consommation et de stockage. En contexte urbain, il peut s’agir de panneaux solaires installés sur les toits, d’appareils électroménagers ou de véhicules électriques. Il s’agit d’une palette de systèmes qui optimisent et automatisent la production, la circulation et la consommation d’électricité dans des contextes complexes, par exemple des zones résidentielles ou des sites industriels.
La cybersécurité
Les réseaux électriques constituent les principaux systèmes « cyberphysiques » au monde : celui qui accède au logiciel d’exploitation peut donc prendre le contrôle direct de dispositifs physiques, ce qui fait de l’investissement en cybersécurité un élément essentiel de la conception et de la gestion du réseau.
L’autre aspect du réseau qui exige une protection numérique est la production d’électricité elle-même. Une solution intéressante a émergé en Europe, où les gestionnaires de réseau de transport ont lancé Equigy7, une plateforme de crowd-balancing qui utilise la technologie de la blockchain pour faciliter la vente de l’électricité excédentaire.
Conclusion
Il faudra des années, peut-être des décennies, pour bâtir le réseau électrique de demain. Si certaines opportunités d’investissement liées à la refonte des réseaux appartiennent à l’avenir, des entreprises (notamment dans le domaine du génie civil et de la construction, des fabricants de composants électriques et des sociétés de services aux collectivités) construisent d’ores et déjà ce réseau, brique après brique, câble après câble. Elles peuvent s’attendre à de nombreuses années de croissance forte et probablement constante : ce sont donc des opportunités d’investissement à saisir dès aujourd’hui.
Notes de bas de page
1 https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-09-06/world-spending-on-cables-will-have-to-rival-solar-and-wind-power?srnd=green
2 https://www.wsj.com/articles/chinas-scorching-heat-and-hydropower-missteps-test-nations-power-grid-11661514473?
https://www.wsj.com/articles/california-avoids-blackouts-by-texting-convincing-consumers-to-slash-power-use-11662658114?
3 https://www.theguardian.com/australia-news/2022/jun/30/what-australias-power-grid-urgently-needs-for-once-in-a-century-transformation-away-from-fossil-fuels?
4 https://www.reuters.com/world/asia-pacific/japan-considers-doubling-inter-regional-power-grid-boost-renewable-energy-2021-04-16/
5 Poland warns against plans for EU windfall levy on power producers - https://www.ft.com/content/6123bda2-12d7-48ae-a139-efd89f4a1034
6 https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-09-13/china-rust-belt-province-plans-87-billion-clean-energy-overhaul
7 https://equigy.com/tso/