22-02-2024 · Débat sur l’investissement durable

Les dilemmes de l'investissement durable : un conte de deux affaires judiciaires

« C'était le meilleur des temps, c'était le pire des temps ; c'était l'âge de la sagesse, c'était l'âge de la folie ; c'était l'époque de la foi, c'était l'époque de l'incrédulité ; c'était la saison de la Lumière, c'était la saison de l'Obscurité ; c'était le printemps de l'espoir, c'était l'hiver du désespoir ; nous avions tout devant nous, nous n'avions rien devant nous ;... »

    Auteurs

  • Masja Zandbergen-Albers - Head of Sustainability Integration

    Masja Zandbergen-Albers

    Head of Sustainability Integration

Cette première phrase de l'œuvre de Charles Dickens, « Un conte de deux villes », pleine de paradoxes, décrit bien mon état d'esprit. Le débat sur la durabilité semble se polariser un peu plus chaque jour. Deux procès récents contre des sociétés financières illustrent ce phénomène. C'est devenu pour ainsi dire « Un conte de deux affaires judiciaires » sur la manière de gérer cette situation.

Le secteur financier subit des pressions pour agir plus en matière de durabilité

Ces dernières années, des entreprises ont été poursuivies en justice en raison de leur manque de pratiques durables. Les impacts directs tels que la dépendance créée par les médicaments, la fraude et la pollution de l'environnement sont des sujets courants. L'action des Amis de la Terre Pays-Bas1 contre Shell était d'un tout autre niveau, puisqu'ils tenaient l'entreprise pour responsable du réchauffement climatique.

Le groupe a exigé que Shell fixe des objectifs en matière d'émissions de CO2, non seulement pour les émissions Scope 1 et Scope 2 (émissions liées aux activités), mais aussi pour les émissions Scope 3 qui sont liées à l'utilisation de ses produits, tels que le pétrole et le gaz dans les voitures. En vertu du devoir de vigilance prévu par le droit néerlandais, les tribunaux ont tranché en faveur des Amis de la Terre.

Maintenant, c'est au tour du secteur financier. L'ONG poursuit la banque ING aux Pays-Bas pour avoir financé des entreprises dont les plans de lutte contre le réchauffement climatique sont médiocres. Selon les Amis de la Terre, en vertu du même devoir de vigilance, ING doit s'assurer que sa politique de lutte contre le changement climatique est conforme à l'objectif de 1,5°C de l'Accord de Paris, en réduisant ses émissions absolues de CO2e d'au moins 43 % en 2030 par rapport aux niveaux de 2019.

En outre, ING doit non seulement veiller à ce que toutes les grandes entreprises clientes fournissent un plan de lutte contre le réchauffement climatique sérieux, mais aussi cesser de soutenir financièrement les grandes entreprises clientes qui ne présentent pas un tel plan dans un délai d'un an. Il s'agit en particulier des clients qui poursuivent le développement des énergies fossiles ou qui ne disposent pas d'un solide plan d'abandon progressif de ces énergies.

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Le secteur financier subit des pressions pour agir moins en matière de durabilité

Dans une autre affaire, les rôles sont inversés, puisqu'ExxonMobil attaque en justice un investisseur et une ONG. Le géant pétrolier a intenté un procès au Texas contre Follow This, une initiative d'actionnaires activistes, et Arjuna Capital, un gestionnaire d'investissements du Massachusetts, après la soumission d'une proposition d'actionnaires demandant à Exxon de fixer le même type d'objectifs de réduction des émissions Scope 3 que Shell s'était vu ordonner d'adopter par le tribunal néerlandais.

Exxon a tenté de faire exclure la proposition des actionnaires de sa circulaire de sollicitation de procurations, parce qu'elle « traite d'une question relative aux activités courantes de la société » et parce qu'elle porte sur le même sujet que celles soumises précédemment en 2023 et en 2022. La société a affirmé qu'elle n'était pas conforme aux critères de resoumission de la SEC et que la proposition « ne vise pas à améliorer la performance économique d'ExxonMobil ou à créer de la valeur pour les actionnaires ». Son objection a abouti, puisque la résolution a été retirée, mais Exxon poursuit son action en justice.

Il ne s'agit plus d'une « option »

Quelle que soit l'issue du procès contre la banque ING, il semble évident qu'au moins aux Pays-Bas, une bonne politique de lutte contre le réchauffement climatique couvrant également les émissions Scope 3 n'est plus une simple « option ».

Et quelle que soit l'issue du procès contre Follow This et Arjuna, la pratique consistant à contourner la SEC et à agir directement en justice, devant un tribunal, pourrait faire hésiter les actionnaires à exercer leurs droits.

Au cours des deux dernières années, les critères ESG sont devenus de plus en plus politisés. Porter les demandes d'actionnaires devant les tribunaux risquerait d'envenimer le débat sur des sujets déjà sensibles. Même si cela s'est déjà produit par le passé, cela témoigne de mauvaises pratiques de gouvernance.

Au-delà des tribunaux

À première vue, il semble que les attentes en matière d'ESG à l'égard des sociétés en portefeuille en Europe et aux États-Unis pourraient encore diverger plutôt que converger. En réalité, une récente enquête sur les critères ESG menée par Cerulli2 auprès d'investisseurs institutionnels américains montre une situation différente. Selon cette enquête, 68 % des investisseurs institutionnels américains intègrent les critères ESG importants dans leur processus de prise de décisions en matière d'investissement. Il est bon de préciser que cette intégration des critères ESG est réalisée pour des raisons purement financières (le « facteur pécunier »). Par conséquent, cela ne signifie pas que les portefeuilles deviendront plus durables. Il s'agit d'une meilleure tarification des externalités.

Interrogés sur l'impact du mouvement anti-ESG, 40 % des investisseurs ont déclaré qu'ils continueraient à intégrer les critères ESG et à investir dans des stratégies durables et à impact, et 30 % ont indiqué que cela n'aurait pas de conséquences sur leur activité. Aucun participant n'a sélectionné la réponse « Nous cesserons d'intégrer les aspects ESG dans les décisions d'investissement » ou « Nous ne proposerons plus de produits d'investissement ESG/durable ».

En ce qui concerne l'actionnariat actif, près de la moitié des institutions ayant répondu (46 %) sont des actionnaires actifs et 33 % prévoient de le devenir au cours des 24 prochains mois. Parmi eux, 69 % engagent un dialogue avec les équipes de direction des entreprises composant leur portefeuille sous-jacent sur les questions liées aux critères ESG, et 20 % supplémentaires prévoient d'intensifier leurs efforts par diverses méthodes : résolutions d'actionnaires (31 %), dialogue collaboratif (30 %) et vote par procuration (25 %). Espérons que ces investisseurs prennent ce sujet au sérieux, car les investisseurs institutionnels qui tentent d'utiliser les droits des actionnaires doivent désormais être conscients de l'éventualité d'une action en justice.

Ce qui a changé, c'est que les investisseurs institutionnels se montreront plus prudents dans leur communication sur l'investissement durable. Après le greenwashing, c'est le « greenhushing » qui devient problématique. Nous pensons donc qu'il ne faut pas sous-estimer le mouvement anti-ESG qui existe aux États-Unis. La situation va empirer avant de s'améliorer.

Chez Robeco, l'investissement durable restera un pilier fondamental de notre stratégie. Comme l'a si élégamment exprimé Charles Dickens, la durabilité est complexe et peut parfois être paradoxale. C'est pourquoi nous poursuivrons notre approche en matière d'intégration des critères ESG et d'investissement durable, fondée sur la recherche, afin d'aider nos clients à atteindre leurs objectifs de durabilité et financiers.

Notes de bas de page

1 Une organisation environnementale néerlandaise également connue sous le nom de « Milieudefensie ».
2 The Cerruli Edge: US Institutional, the ESG Edition: Q1 2024

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