L’assemblée générale annuelle est l’occasion pour les actionnaires de faire entendre leurs préoccupations auprès des entreprises dans lesquelles ils détiennent une participation. Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) constituent l’un des grands thèmes du rituel annuel au cours duquel les investisseurs sont amenés à voter, généralement par procuration (non en personne).
Toutefois, la montée en puissance d’un mouvement anti-ESG ces dernières années a contraint certaines entreprises à sortir l’artillerie, parfois lourde, en intentant des procès pour lutter contre les propositions exigeant des améliorations sur le plan de la durabilité, en particulier en ce qui concerne le réchauffement climatique et leur état de préparation à la neutralité carbone.
La question fondamentale
« La question fondamentale qui semble poser problème à de nombreux actionnaires pour la prochaine saison des AGA et qui n’est pas inscrite sur la carte de procuration semble être la suivante : Quelle est votre approche en matière d’ESG ? », déclare Diana Trif, spécialiste du dialogue actionnarial au sein de l’équipe Actionnariat actif de Robeco.
« Si la réponse semble aller de soi, elle dépend toutefois de la définition que l’on donne à la durabilité. Pour Robeco, la réponse est claire. Les critères ESG visent à évaluer les risques et les opportunités afin de créer de la valeur à long terme et d’aider les entreprises du portefeuille à se préparer aux défis de demain.
L’évaluation de l’engagement d’une entreprise envers les questions ESG est souvent le signe d’une gestion proactive. Générer des performances tout en gérant les enjeux ESG importants est une priorité pour nos clients, et cela constitue le point de départ de notre stewardship.
Alors que le début de l’année 2024 a été marqué par des tensions géopolitiques, des pressions liées au coût de la vie et l’exacerbation de la crise climatique, la prochaine saison des votes par procuration risque de s’avérer la plus délicate à ce jour, tant pour les investisseurs que pour les sociétés cotées en bourse. »
Les droits des actionnaires pris pour cibles
Des exemples de réactions hostiles ont été révélés au grand jour lorsque le géant américain du pétrole ExxonMobil a poursuivi en justice ses actionnaires Follow This et Arjuna Capital afin d’empêcher que leur proposition appelant à des objectifs climatiques plus ambitieux ne soit soumise au vote. Bien que les actionnaires aient retiré leur proposition, Exxon les a quand même poursuivis en justice, avançant que « la procédure actuelle visant à exclure des propositions soumises au vote par procuration est lacunaire.
« Les responsabilités de stewardship et les droits des actionnaires sont souvent présentés dans l’idée qu’ils devraient être utilisés pour atténuer les risques et faciliter le dialogue », explique Michiel van Esch, responsable du vote chez Robeco.
« À ce titre, nous considérons le processus de soumission d’une proposition d’actionnaire comme un moyen essentiel pour engager un dialogue entre les entreprises et leurs actionnaires, qui permet à un éventail de questions ESG d’être soumises au vote et de contribuer à la réforme de la gouvernance. »
Les caractéristiques DE&I également sous les projecteurs
Et il ne s’agit pas que du climat. Certaines des plus grandes entreprises américaines ont été menacées d’action en justice sur la base d’allégations selon lesquelles leur politique de diversité, d’égalité et d’inclusion (DE&I) constitue une discrimination illégale. Cette situation est paradoxale, car ces mêmes entreprises ont été appelées par leurs investisseurs à intensifier leurs efforts en matière de diversité.
« Nous sommes convaincus qu’un dialogue constructif entre les entreprises et leurs actionnaires permet de relever avec succès ces défis », déclare Michiel van Esch.
« Un engagement continu en amont et en aval des AGA permet de s’assurer que les entreprises cernent bien les attentes des actionnaires vis-à-vis de la direction et que les investisseurs comprennent les défis auxquels sont confrontées les entreprises dont ils détiennent une participation. »
Réchauffement climatique
Dans le même temps, une étude récente a montré que le monde n’est pas en bonne voie de respecter les dispositions de l’Accord de Paris et que 2023 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée. Cette conclusion braquera l’attention sur le réchauffement climatique lors de nombreuses AGA, déclare Diana Trif.
« À l’instar de plusieurs autres sujets ESG, il semble se créer une fracture de plus en plus nette sur la question du réchauffement climatique », précise-t-elle. « Si ce constat a été manifeste lors des précédentes saisons des votes par procuration, l’évolution des attentes des investisseurs sur la question climatique aura un impact retentissant sur la saison 2024.
D’une part, nous avons récemment assisté à la sortie de plusieurs grands gérants d’actifs de l’initiative d’engagement collaboratif Climate Action 100+. D’une part, nous avons vu plusieurs de leurs homologues privilégier le désinvestissement à l’engagement. Cela ne manquera pas de rendre la saison des votes par procuration intéressante et de projeter le climat sur le devant de la scène. »
Préparer la transition
Dans la même veine que les résolutions qui soumettent la rémunération des dirigeants au vote des actionnaires (« Say on Pay »), il existe désormais des résolutions « Say on Climate », par le truchement desquelles les entreprises demandent à leurs investisseurs de voter sur leur plan de transition proposé. Le fait qu’une entreprise ait mis en place un plan inadéquat peut inciter les actionnaires à voter contre la réélection de ses administrateurs.
« En ce qui concerne les entreprises qui n’ont pas commencé à planifier leur transition, qui ne se sont pas fixées d’objectifs en la matière et qui n’ont pas mis en place de structures de gouvernance adéquates pour faire face aux risques climatiques, nous avons la responsabilité envers nos investisseurs d’intervenir au moyen de notre vote et de fournir un feedback aux entreprises », déclare Michiel van Esch.
Atténuer la perte de biodiversité
Cette dynamique accrue en faveur de l’atténuation de la perte de biodiversité devrait également se refléter sur l’ordre du jour des AGA. Les grands constructeurs automobiles américains recevront des propositions d’actionnaires leur demandant soit de souscrire à un moratoire sur l’approvisionnement en minerais issus de l’extraction minière en eaux profondes, soit de rendre publique leur politique en la matière. D’autres entreprises recevront des propositions sur les plastiques à usage unique.
« D’une manière générale, nous soutenons les propositions d’actionnaires raisonnables qui demandent une plus grande transparence sur la gestion des risques pour la biodiversité et l’atténuation des risques liés à la déforestation », explique Michiel van Esch. « Nous attendons des entreprises fortement exposées aux matières premières présentant des risques associés à la déforestation qu’elles en tiennent compte dans leurs activités et leurs chaînes d’approvisionnement. »
Les débats sur les rémunérations font rage
Entre-temps, la sempiternelle pomme de discorde qu’est la rémunération des dirigeants risque de resurgir à la suite de la décision historique aux États-Unis qui a invalidé la rémunération de 55,8 milliards de dollars versée par Tesla à son fondateur Elon Musk, après être arrivée à la conclusion que cette « somme inimaginable » était injuste pour les actionnaires.
« Face à la crise du coût de la vie, les actionnaires attendent de plus en plus des entreprises que les augmentations de rémunération de leurs dirigeants soient fixées à l’aune de la rémunération et des conditions générales à l’échelle de l’entreprise », explique Diana Trif.
« En votant sur les propositions de rémunération, nous continuerons à tenir compte d’un éventail de facteurs liés à la structure, à la transparence et au montant des rémunérations. Nous attendons des entreprises qu’elles instaurent un lien solide entre rémunération et performance, et qu’elles mettent en place un solide système de divulgation d’information et des procédures rigoureuses afin de s’assurer que les dirigeants sont récompensés de manière équitable. »