Le bilan des négociations
La COP16 est la première réunion des parties depuis l'accord conclu lors de la COP15 en 2022 à Montréal sur l'objectif mondial d'enrayer et d'inverser la perte de biodiversité d'ici 2030. Les négociations de Cali se sont par conséquent concentrées sur la mise en œuvre : fixation d'objectifs nationaux, création de cadres opérationnels et mobilisation de ressources.
Ce dernier point a dominé à l'issue des négociations. Les pays n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur la manière de mobiliser les 200 milliards de dollars de financement public d'ici 2030 qui avaient été convenus à Montréal. Les pays en développement se sont opposés à ce que ces fonds soient hébergés à Washington et ont demandé la création d'un nouveau véhicule.
Cette absence d'accord a également bloqué les progrès sur d'autres sujets. Après une séance plénière qui a duré toute la nuit, la conférence a joué les prolongations et a été suspendue dans la matinée du 2 novembre parce que trop de délégués étaient déjà partis et qu'il n'y avait plus de quorum pour la prise de décision. Néanmoins, la COP16 a permis d'obtenir des résultats dans trois domaines importants.
La mise en œuvre de l'accord de Montréal
En premier lieu, la COP16 a fait progresser les plans de mise en œuvre nationale de l'accord de Montréal. Quelques 119 pays ont présenté des rapports nationaux sur la biodiversité et 44 ont élaboré des plans d'action complets en faveur de la biodiversité. Les parties ont également avancé dans la conception d'un cadre commun de suivi des progrès réalisés par les différents pays, bien que ce cadre n'ait pas reçu l'approbation finale en raison de la suspension de la conférence.
Ensuite, la COP16 a introduit un nouveau mécanisme de financement de la préservation de la nature : un prélèvement sur les bénéfices réalisés à partir des informations génétiques numériques recueillies et mises à disposition en libre accès par les scientifiques. Les grandes entreprises qui monétisent ces données, par exemple dans le domaine pharmaceutique ou de la sélection végétale, devront payer une taxe de 1 % sur leurs bénéfices ou de 0,1 % sur leur chiffre d'affaires. La moitié des fonds sera consacrée à des efforts publics de préservation. L'autre moitié sera distribuée aux peuples autochtones et aux communautés locales. En outre, un nouvel organe sera créé pour inclure ces groupes dans la gouvernance de l'accord mondial sur la biodiversité.
Pour finir, la COP16 a convenu d'identifier les zones marines les plus critiques et les plus vulnérables au-delà de la juridiction nationale. Ces zones jouent un rôle important dans la protection de la biodiversité marine et dans l'objectif mondial visant à protéger 30 % des terres et océans d'ici 2030. Le travail d'identification de ces zones marines avait commencé dès 2010 mais a stagné au cours des huit dernières années en raison de problèmes juridiques et politiques.
Le financement de la protection de la nature
Le financement étant la question clé à Cali, il n'est pas surprenant que la Journée de la Finance ait été l'une des journées les plus chargées au cours de ces deux semaines. Les pays forestiers et les peuples autochtones ont légitimement revendiqué la nécessité de reconnaître et de récompenser leurs services de conservation.
De nombreuses annonces ont été faites concernant de nouveaux mécanismes innovants, financements mixtes, swaps « dette contre nature », crédits biodiversité, obligations jaguar, etc. Pourtant, les nouveaux engagements effectifs en faveur du Fonds-cadre mondial pour la biodiversité, de l'ordre de 196 millions de dollars, n'ont pas répondu aux attentes.
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L'essentiel est de financer la transformation des industries qui nuisent actuellement à la nature et épuisent les ressources naturelles
Un intervenant a souligné que les 200 milliards de dollars que les parties se sont engagées à verser à Montréal ne représentent qu'une infime partie des marchés financiers mondiaux et devraient donc être faciles à mobiliser.
Toutefois, le véritable enjeu concerne bien entendu les autres flux financiers et les risques et impacts naturels qui leur sont associés. Il est important de financer la protection de la nature. Mais l'essentiel est de financer une transition en faveur de la nature, c'est-à-dire financer la transformation des industries qui nuisent actuellement à la nature et épuisent les ressources naturelles.
C'est le principal point que la délégation des investisseurs a apporté à la table des négociations. Au nom de ses membres, la Fondation Finance for Biodiversity a veillé à ce que le financement de la transition soit inclus dans les accords finaux, et à ce que le rôle central des ministères des Finances et une approche pangouvernementale de la nature soient reconnus.
Un momentum croissant dans le monde des affaires
La COP16 a démontré que la nature devient une affaire de plus en plus sérieuse. Sur un total de 23 000 participants, on estime que 3 000 représentaient des entreprises et des institutions financières. Cela montre un momentum croissant depuis Montréal, où les entreprises étaient notamment présentes pour la première fois, avec environ 1 000 délégués.
Certes, ce sont les équipes de développement durable des entreprises qui sont déléguées, plutôt que le cœur de métier, ce qui correspond à la maturité des discussions qui ont eu lieu à Cali. Ces discussions ont porté sur l'élaboration de stratégies en matière de nature, la fixation d'objectifs et le lancement de projets, plutôt que sur la conclusion d'opérations d'investissement.
Trois grandes entreprises ont annoncé des objectifs scientifiques en matière de nature, tandis que 30 autres ont publié des stratégies d'entreprise dans ce domaine qui ont fait l'objet d'un examen externe. Les investisseurs n'en sont pas encore là et la première série d'objectifs en matière de nature définis par les investisseurs devrait être communiquée dans les six prochains mois. Bien que ce soit un phénomène relativement nouveau, l'époque où la nature était un domaine exclusivement réservé aux défenseurs de l'environnement est révolue. Les entreprises et les milieux financiers ont pris conscience de son importance et s'efforcent de l'intégrer dans leurs stratégies.
Le défi des données sur la nature doit être surmonté
Il ne fait aucun doute que, dans les nombreux groupes de discussion sur la finance, l'expression la plus souvent citée était « le défi des données ». Les investisseurs continuent de s'interroger sur la manière d'appréhender les risques et les impacts liés à la nature d'une manière qui soit utile à la prise de décision en matière d'investissement. L'évaluation de la matérialité des portefeuilles est déjà une pratique courante, mais la construction de portefeuilles nécessite d'être mesurée au niveau des titres, ce qui reste difficile.
Les réunions de la COP16 laissent entrevoir des progrès notables. Les entreprises participant à la conférence à Cali échangeaient déjà leurs bonnes pratiques en suivant les guides de publication d'informations du secteur que le Groupe de travail sur l'information financière relative à la nature (TNFD) n'a publiés qu'en juin dernier. Des fournisseurs de données étaient présents et certains ont profité de l'occasion pour présenter de nouveaux jeux de données géospatiales développés en collaboration avec des organisations de protection de la nature telles que le Natural History Museum du Royaume-Uni et le Worldwide Fund for Nature (WWF).
L'évolution d'un reporting sectoriel normalisé, associé à des jeux de données sur la nature au niveau des actifs, permettra aux investisseurs de progresser de manière significative dans l'évaluation de la nature au niveau des titres. Les données relatives à la nature deviennent de plus en plus utiles à la prise de décision et cela devrait se refléter dans les portefeuilles d'investissement au cours des prochaines années.
L'élément humain
Tous les participants à la conférence ont ressenti l'hospitalité chaleureuse de Cali et la joie débordante avec laquelle la ville a abordé le thème de la biodiversité. La zone verte au centre de la ville, où les délégués se sont mêlés aux habitants, a témoigné de la richesse de la biodiversité du pays et de son lien étroit avec la culture et l'identité colombiennes.
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Le changement n'est pas motivé par la peur ou la réglementation. Il est motivé par l'amour
Dans la zone bleue, où se sont déroulées les négociations officielles, la présence massive de dirigeants autochtones a rappelé à tous les délégués le rôle de premier plan que jouent les peuples autochtones dans la protection des forêts et des réserves de biodiversité de la planète.
Sur scène, Peter Bakker, le président-directeur général du World Business Council for Sustainable Development, a déclaré : « Le changement n'est pas motivé par la peur ou la réglementation. Il est motivé par l'amour. S'il est difficile d'aimer le réchauffement climatique catastrophique, il est facile d'aimer la nature. Aimons la nature ! »
Ses propos soulignent à juste titre que l'élément humain est au cœur de tout cela. Néanmoins, il est tout aussi essentiel d'élaborer de véritables politiques et incitations pour renforcer la matérialité financière de la nature et favoriser la transition.
La COP16 a réalisé des progrès sur ces deux aspects, mais il reste encore beaucoup à faire. Et si elle n'a pas progressé autant qu'on l'espérait, la COP16 a toutefois posé d'importantes bases pour l'action politique de cette décennie. Cela contribuera à renforcer le momentum en faveur d'une action pour la nature dans le monde des affaires et de la finance.
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