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14-04-2023 · Interview

« Bien comprendre l'économie peut être très utile pour résoudre le problème de la perte de biodiversité »

Le professeur Ben Groom est titulaire de la chaire d'économie de la biodiversité Dragon Capital à l'Université d'Exeter, au Royaume-Uni. Son rôle consiste à renforcer la politique publique en matière de biodiversité et à étudier comment le secteur financier et l'évolution du comportement des consommateurs peuvent contribuer à la préserver et à la restaurer. Il est également membre du groupe de travail sur la biodiversité du Trésor britannique. Il est titulaire d'un doctorat en économie du département d'économie de l'University College de Londres. Dans ce Q&A, il explique comment la compréhension de l'économie de la biodiversité peut aider à résoudre le problème de la préservation et de la restauration de nos écosystèmes naturels.

Résumé

  1. La biodiversité est souvent un concept « invisible » qui n'est pas pris en compte par les entreprises

  2. Il est nécessaire d'appliquer des politiques globales pour changer le comportement des consommateurs

  3. La mise en œuvre des sommets de Kunming et de Montréal est cruciale pour atteindre cet objectif

Pouvez-vous nous décrire ce que vous faites en tant que professeur d'économie de la biodiversité ?

« Je suis un économiste de l'environnement, qui travaille sur la valeur de la biodiversité sous ses différentes formes, par le biais des services écosystémiques et de ses valeurs commerciales dans des domaines tels que les produits pharmaceutiques, les sciences de la vie et l'agriculture. Nous essayons d'identifier l'ensemble des domaines dans lesquels l'économie échoue parce que la valeur de la biodiversité n'est pas prise en compte. Elle n'est pas correctement intégrée dans les décisions que nous prenons, comme le choix de notre alimentation, de nos vêtements ou du lieu de nos vacances. Nous ne tenons pas vraiment compte des impacts négatifs sur la biodiversité. Nous pouvons évaluer les coûts d'approvisionnement, de main-d'œuvre, de transport et d'autres éléments, mais le coût de la biodiversité n'est pas pris en compte.

C'est également le cas dans le secteur financier, lorsque nous envisageons de déplacer des capitaux d'un endroit à l'autre en fonction du résultat net, en gagnant de l'argent pour nos clients ou en améliorant notre pension grâce aux rendements que nous pouvons obtenir. Nous ne tenons pas compte des coûts de la dégradation des sols, de la perte de services écosystémiques et de biodiversité, etc. Ces coûts ne sont généralement pas intégrés dans ces taux de rendement. Ainsi, l'allocation des capitaux est biaisée en faveur d'activités qui sont excessivement nuisibles.

Les aspects économiques ici sont donc très, très importants. Si vous comprenez bien ce qu'est l'économie, vous pouvez faire beaucoup pour résoudre les problèmes liés à la perte et la dégradation de la biodiversité. »

Pourquoi la biodiversité n'est-elle pas correctement prise en compte ?


« Très souvent, la biodiversité est invisible pour nous. Lorsqu'on nous parle de la dégradation des services écosystémiques dans d'autres pays en raison de la déforestation ou d'autres activités, nous ne voyons pas de nos propres yeux de telles choses se produire. Il s'agit soit d'un phénomène lointain, ou plus subtilement invisible – la diversité des bactéries et des champignons qui sont très importants pour le maintien des sols et d'autres processus écologiques qui apportent des avantages économiques grâce à des activités telles que l'agriculture.

Ces éléments étant éloignés ou invisibles, nous n'en tenons pas vraiment compte dans nos décisions ou nous le faisons trop tard. Donc, en tant qu'économiste de l'environnement, je travaille dans un cadre interdisciplinaire avec d'autres experts, avec des données et des décideurs politiques, pour essayer de trouver des solutions qui impliquent l'évaluation et la correction de ces défaillances du marché.

Le public est captivé quand vous abordez la question des valeurs d'extinction, car il peut en général conceptualiser l'idée selon laquelle l'inconvénient est l'irréversibilité de l'extinction. Mais il peut être difficile d'assimiler ce qui se passe à la frontière des forêts tropicales ou ce qu'est la dégradation du milieu marin. Nous avons donc besoin d'autres signaux pour cela. Il pourrait s'agir d'un signal en matière de prix ou de qualité, ou d'autres changements réglementaires qui modifient la nature de nos décisions comme individus, comme entreprises, comme investisseurs et, bien sûr, comme gouvernements. »

Quelles sont les initiatives politiques auxquelles vous participez ?

« Actuellement, je travaille avec le Trésor britannique sur la manière d'améliorer ses orientations en matière d'analyse coûts/bénéfices pour les investissements publics et d'analyse des réglementations publiques, de manière à ce que nous prenions explicitement en compte et valorisions la biodiversité quand nous prenons de grandes décisions d'investissement comme la HS2 (nouvelle ligne ferroviaire à grande vitesse), ou des décisions réglementaires comme l'interdiction des pesticides. Dans le cas de la HS2, la biodiversité est considérée comme un coût, mais dans le cas de l'interdiction des pesticides, elle est plutôt considérée comme un bénéfice – mais actuellement on utilise un prix zéro dans les deux cas.

Donc, c'est toujours la même histoire : les investissements sont orientés vers des activités qui ne tiennent pas compte de la biodiversité. Nous essayons d'améliorer les orientations que le gouvernement britannique utilise dans son « Livre vert » sur l'analyse coûts/bénéfices afin d'y intégrer plus clairement la biodiversité. Le point positif, c'est que le Livre vert est considéré comme un document international. Donc, beaucoup de pays dans le monde l'utilisent pour l'évaluation des investissements publics, de sorte qu'il a une portée et un impact politique qui dépassent les frontières du Royaume-Uni. »

Dans votre biographie, vous dites que vous vous spécialisez dans « l'équité intergénérationnelle » ? De quoi s'agit-il ?

« Mon travail dans ce domaine consiste à étudier le taux d'actualisation social à utiliser dans l'analyse coûts/bénéfices. En gros, le taux d'actualisation social s'apparente à un taux d'intérêt, qui permet d'actualiser les coûts et les bénéfices futurs des individus. La principale difficulté de l'analyse économique est que bon nombre des problèmes auxquels nous devons faire face, comme la biodiversité et, en particulier, le réchauffement climatique, ont des échéances extrêmement longues qui retardent la génération de leurs coûts et de leurs bénéfices.

Investir aujourd'hui dans l'atténuation du réchauffement climatique signifie que les populations en ressentiront les bénéfices réels dans des centaines d'années. L'émission d'une tonne de carbone aujourd'hui aura un impact sur le réchauffement planétaire pendant des centaines, voire des milliers d'années. Par conséquent, quand vous effectuez une analyse des investissements bruts et des investissements publics, le poids que vous accordez à ces bénéfices futurs est un signal très important qui vous indique si vous devez ou non effectuer ces investissements. Si vous avez un taux d'actualisation de 5 %, par exemple, vous ne vous souciez pas du tout de ce qui se passe au-delà d'environ 50 ans.

Mon travail a donc porté sur l'éthique de l'actualisation intergénérationnelle et sur la manière dont elle devrait inspirer la politique gouvernementale. Nous nous sommes engagés avec le Conseil des conseillers économiques et les personnes impliquées dans la tarification du carbone aux États-Unis, par exemple. Cela consiste essentiellement à estimer un prix d'actif pour le carbone en estimant son coût social, c'est-à-dire la valeur actuelle du flux de dommages résultant de l'émission d'une tonne de carbone aujourd'hui. Compte tenu de l'incertitude et des aspects éthiques qui y sont associés, vous devriez probablement utiliser un taux d'actualisation beaucoup plus bas que pour une analyse financière ou une analyse coûts/bénéfices classique à court terme. C'est pourquoi on peut considérer que mon travail porte sur l'équité intergénérationnelle, car il s'agit d'appliquer un taux d'actualisation sur plusieurs générations. »

Ne devons-nous pas absolument changer le comportement des consommateurs ? Ne mangeons-nous pas tout simplement trop de viande de bœuf, par exemple, au détriment de l'environnement ?

« C'est un sujet épineux. Si l'alimentation est un domaine dans lequel on peut réduire sa propre empreinte, le revers de la médaille est que l'initiative revient aux individus. Votre comportement ne garantit pas celui des autres ; si vous consommez moins de quelque chose, une autre personne pourrait en consommer davantage. Ce qu'il faut vraiment, c'est un cadre global dans lequel nous travaillons tous. En termes de comportement individuel, la clé est de voter pour des partis politiques qui défendent ces idées spécifiques, ou de soutenir des mouvements qui protègent l'environnement.

En ce qui concerne le carbone, les évolutions technologiques fondamentales ont lieu dans le secteur de l'énergie ; en ce qui concerne la biodiversité, elles devrait avoir lieu dans l'agriculture et le système alimentaire. La viande, par exemple, est largement sous-évaluée par rapport aux dommages qu'elle cause à l'environnement, et la réduction de sa consommation sera un élément important de la solution. Mais nous devons également avoir des mouvements et des politiques qui garantissent de réels changements systématiques dans toutes les activités. »

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Ne manquez pas cette occasion

Pouvons-nous continuer d'utiliser le système capitaliste pour protéger la biodiversité, notamment les opportunités d'investissement présentes dans les projets commerciaux comme la reforestation ?

« L'argent est un moteur important. En tant qu'économiste de l'environnement travaillant dans le secteur public, je constate que nous avons tendance à nous reposer sur l'idée que la réglementation est le moteur de tout, de la tarification des externalités à la fixation de normes, en passant par les restrictions sur les quantités et le commerce. Mais nous sommes dans un système économique, avec toutes les incitations qui y sont liées. Le problème est qu'il ne tient pas compte de la plupart des choses qui nous importent dans la société, que ce soit aujourd'hui ou pour les générations futures, comme la biodiversité.

Dans l'état actuel des choses, ces problèmes ne seront pas résolus à moins que les décideurs n'en tirent un avantage financier, indépendamment des arguments économiques évidents. Il existe de nombreuses opportunités dans le domaine de la biodiversité, tout comme dans celui du carbone. Ce n'est que dans ce dernier domaine qu'il est beaucoup plus évident de savoir ce qui constituera un investissement raisonnable et quels sont les projets : réformer le système énergétique et résoudre le problème du climat. La réglementation et les accords internationaux y ont contribué dans une large mesure.

En ce qui concerne la biodiversité, c'est beaucoup plus compliqué. Il est clair que la nature apporte d'énormes valeurs économiques et autres. Nous voyons des solutions fondées sur la nature et des exemples de marchés internes au sein des pays, et le paiement de services écosystémiques, ce qui consiste à payer les personnes en amont pour qu'elles entretiennent les forêts afin que la qualité de l'eau en aval soit meilleure. Dans certains cas, on n'a pas nécessairement besoin d'une réglementation, mais on en a besoin dans la plupart des cas.

Je pense donc qu'il existe d'énormes opportunités dans ce domaine, ainsi que dans celui de la réglementation. Une fois que l'on commence à dire qu'il faut un gain net de biodiversité dans ce pays et que tout ce que l'on fait en tant qu'entité doit s'inscrire dans cette perspective, cela peut favoriser l'émergence d'un marché de la protection de la biodiversité qui montre qu'il y a de l'argent à gagner en résolvant ces problèmes. En fin de compte, les incitations sont nécessaires, sinon le problème ne sera pas résolu. »

Pensez-vous que les conférences de Kunming et de Montréal ont été un succès, ou qu'il s'agit encore de parler sans agir ?

« J'ai été agréablement surpris par les progrès réalisés au sommet de Kunming. Ils ont réussi à s'accorder sur le 30 par 30 (protéger 30 % de la planète et 30 % des écosystèmes dégradés d'ici 2030), ce qui a été un moment charnière. Consolider les précédents accords sur le partage des bénéfices liés à la biodiversité et au matériel génétique, et assurer aux pays en développement un accès au financement, c'est très bien, mais il n'y a jamais eu d'objectif concret auparavant. C'était donc une grande avancée, l'équivalent de l'Accord de Paris pour la biodiversité.

À présent, la question est de savoir comment cette décision est mise en œuvre. Il est facile de créer une zone protégée dans des endroits qui n'auraient jamais été menacés ou qui ont une faible valeur en termes de biodiversité. La vraie question est de savoir comment mettre en œuvre cette décision de manière à générer le plus grand impact possible sur la biodiversité, car la protection d'une zone ne signifie pas nécessairement qu'on augmente considérablement la biodiversité. »

Qu'en est-il de la fiabilité des données sur la biodiversité et de l'analyse de la localisation ? L'accès à des données de qualité ne pose-t-il pas toujours de réels problèmes ?

« C'est une difficulté, mais nous la surmontons petit à petit. Il s'agit essentiellement de la chaîne d'approvisionnement et d'essayer de comprendre, par le biais des rapports publiés par les entreprises ou d'une analyse d'impact généralisée, l'impact qu'ont certaines entreprises. Les projets existants disposent de données spécifiques, mais leur qualité est loin d'être satisfaisante. Très souvent, les données relatives à la localisation concernent le siège social et les unités périphériques, qui ne sont pas nécessairement au cœur de l'activité.

L'idéal serait de disposer de données de localisation associées à des données sur l'impact de la biodiversité, mais ces dernières sont généralement très sommaires et imprécises. Et ensuite, que ferez-vous de ces données ? Comment allez-vous résoudre le problème initial ? Mais le secteur financier porte suffisamment d'intérêt à la divulgation des impacts sur la biodiversité, certainement au regard de la taxonomie de l'UE, des initiatives telles que la TNFD ou l'information financière relative à la nature, et des mesures incitatives plus larges en matière de RSE. Même au cours des deux dernières années, la situation s'est améliorée sur ce plan. Donc, selon moi, il ne faut pas se dire : « nous ne devrions pas le faire parce que les données sont de très mauvaise qualité ». Je pense que le secteur évolue dans la bonne direction. »

Qu'en est-il de l'intensification des poursuites contre les activités illégales ? Une grande partie de la déforestation au Brésil, par exemple, est due à l'exploitation illégale des forêts.


« Considérer la perte de biodiversité comme un crime ou infliger des sanctions à des pays est une chose très délicate. Si l'on considère le Brésil, 60 % de la consommation de soja et de viande produite dans ce pays est domestique. Les mesures visant le commerce international ou les menaces de sanctions sont donc moins efficaces qu'il n'y paraît, dans la mesure où elles ne résoudront pas tous les problèmes. Des lois sur la biodiversité existent déjà dans de nombreux pays – ce qui compte vraiment, c'est la capacité de les faire appliquer dans ces pays. Mais les incitations dans ce sens sont extrêmement insuffisantes. Si vous vous opposez à une société d'exploitation forestière au Brésil et tentez de faire respecter la loi, vous courez un risque financier et souvent personnel très élevé.

De plus, beaucoup de personnes dépendent pour leur subsistance de l'abattage des forêts. C'est ainsi que de nombreux pays ont réduit la pauvreté, par exemple. La solution est de travailler sur des incitations dans cette optique au sein du pays et de faire en sorte que la conservation des forêts existantes soit plus viable que leur abattage. L'exode rural peut atténuer dans une certaine mesure la pression exercée à la frontière des forêts, mais ce n'est possible que s'il existe d'autres opportunités dans les zones urbaines.

Les mesures incitatives pour les entreprises agricoles et les sociétés d'exploitation forestière sont très différentes, et il est difficile de modifier les incitations dans ce secteur. Nous devrions nous pencher sur la demande de produits agricoles et forestiers, tant au niveau local que par le biais du commerce international, et sur les réglementations incitatives qui vont de pair. Nous devons également réfléchir au transfert de ressources vers les pays tropicaux afin de préserver les forêts qui fournissent des biens publics mondiaux, tels que la biodiversité et le stockage du carbone. »

Pour conclure, qu'est-ce que les investisseurs devraient faire (ou ne pas faire) pour contribuer à la protection de la biodiversité ?

« Vous devriez jouer votre atout en évitant les entreprises qui nuisent ouvertement à la biodiversité et en vous engageant fermement auprès de celles qui peuvent s'améliorer en rendant leurs activités plus durables. Cet aspect devrait devenir plus important pour les investisseurs au fil du temps, en particulier à mesure que la réglementation en matière de durabilité et de biodiversité se durcit.

L'autre chose que vous devriez faire est de sortir des combustibles fossiles, ce qui se produira de toute façon au fil du temps. Des mesures similaires doivent aussi être prises pour les industries très dépendantes des ressources naturelles. Si j'étais gérant d'actifs, j'envisagerais sérieusement de me désengager de tout ce qui touche à la déforestation tropicale ou encore de déployer des efforts considérables pour m'engager et changer les pratiques. »