Afin de limiter la hausse de la température mondiale conformément à l’Accord de Paris, les compagnies d’électricité doivent réduire leurs émissions. Alors que la demande d’énergie se tourne vers des sources plus durables, il est de plus en plus important que les investisseurs comprennent comment les compagnies d’électricité adaptent leurs stratégies et appréhendent l’incidence de cet ajustement sur leurs portefeuilles.
Ce qui est mesuré – les volets du modèle TDS
La Trajectoire de Décarbonation Sectorielle (TDS) de l’électricité cherche à déterminer si les entreprises se fixent les objectifs nécessaires et réalisent les investissements requis pour s’assurer de tenir la cadence dans la transition vers le Net Zéro.
Le modèle TDS repose sur trois piliers essentiels :
l’évaluation des trajectoires de décarbonation futures des services aux collectivités par rapport à des indices de référence scientifiques
l’analyse des dépenses d’investissement nécessaires pour que les énergies renouvelables puissent atteindre les objectifs fixés par les indices de référence
la comparaison entre les dépenses d’investissement nécessaires et les investissements engagés par les entreprises pour déterminer la crédibilité de leurs plans de décarbonisation
Les analyses sont menées pour les entreprises des services aux collectivités cotées en bourse dans les univers d’investissement de nos stratégies d’investissement Actions et Crédit durables. Les résultats permettent de quantifier et de prévoir objectivement la trajectoire de décarbonation probable de chaque entreprise au cours des prochaines décennies. Les investisseurs peuvent ensuite comparer les performances des services aux collectivités par rapport à celles de leurs homologues afin d’identifier les entreprises en tête et en queue de peloton dans le secteur de l’électricité jusqu’en 2050.
Des indices de référence scientifiques
Nous avons choisi l’indice Below 2 °C Pathway de la Transition Pathway Initiative (TPI) comme référence en matière de réduction des émissions pour le secteur des services publics d’électricité. La TPI intègre les recherches de la science du climat et les données relatives aux émissions les plus récentes du GIEC et de l’AIE et est considérée comme la plus éminente institution au monde en ce qui concerne l’élaboration de trajectoires de décarbonation sectorielles. Elle surveille les réductions annuelles que le secteur de l’électricité doit réaliser afin que l’augmentation de la température mondiale reste bien en dessous des 2 °C prévus par l’Accord de Paris.
Les trajectoires d’engagement sont des trajectoires prospectives qui anticipent les réductions d’émissions qu’une entreprise de services aux collectivités s’est engagée à réaliser au cours des années et des décennies à venir. Le graphique 1 montre les engagements de réduction des émissions d’une entreprise de services aux collectivités lambda (la trajectoire d’engagement) par rapport aux engagements nécessaires pour se conformer à l’Accord de Paris (l’indice TPI Below 2 °C Pathway).
Graphique 1 – Trajectoire de décarbonation d’une entreprise de services aux collectivités par rapport à l’indice de référence
Source : Robeco, 2023. Le graphique représente une compagnie d’électricité lambda. Les objectifs de décarbonation que l’entreprise s’est engagée à atteindre (la trajectoire d’engagement de l’entreprise) sont indiqués par la ligne rouge en pointillés. La ligne verte continue représente la trajectoire de référence du secteur, qui indique la réduction des émissions nécessaire pour atteindre les scénarios de températures prévus par l’indice TPI Below 2 °C à l’horizon 2050.
Le score de décarbonation
La performance d’un service aux collectivités en matière de décarbonisation est mesurée par l’écart entre la trajectoire d’engagement et l’indice TPI Below 2 °C Pathway à court (2025-2028), moyen (2030-2040) et long terme (2050). Plus l’écart est important, plus les performances actuelles et prévues de l’entreprise en termes de décarbonation sont mauvaises. Les entreprises qui affichent des écarts faibles, nuls ou négatifs (ce qui signifie que les engagements de l’entreprise sont meilleurs que ceux fixés par l’indice de référence) sont considérées comme des acteurs aux performances allant de bonnes à exceptionnelles.
Ces entreprises obtiennent des scores de décarbonation élevés et positifs sur une échelle de 1 à 100 (100 = le plus élevé). En revanche, les entreprises dont les objectifs de réduction des émissions publiés sont inférieurs aux niveaux de décarbonation requis reçoivent des scores moins élevés.
Si l’ampleur des écarts est un facteur important, le timing a également toute son importance. Nous accordons une importance (et une pondération) particulière aux engagements et aux actions d’une entreprise à moyen terme, c’est-à-dire entre 2030 et 2040. Cette décennie constituera un créneau décisif pour mettre en œuvre de réductions significatives des émissions afin de limiter le réchauffement climatique bien en dessous de 2 °C. Cette urgence se fonde sur des données scientifiques indiquant que tout report de réductions des émissions significatives après 2040 rendrait les conséquences les plus catastrophiques du réchauffement climatique de plus en plus difficiles à éviter ou les rendrait même inévitables1.
Score de décarbonation de Robeco = (0,25) score actuel + (0,20) score à court terme + (0,45) score à moyen terme + (0,10) score à long terme
Évaluation des dépenses d’investissement dans le développement de capacités en énergies renouvelables
Bien que les stratégies de décarbonation communiquées constituent un signe positif, les engagements des entreprises doivent également être crédibles. Afin de mesurer cette crédibilité, nous nous penchons sur les dépenses d’investissement allouées par un service aux collectivités aux futures technologies d’énergies renouvelables et à faibles émissions et les comparons aux investissements que cette même entreprise devrait consentir pour s’aligner sur l’indice TPI. Pour ce faire, nous calculons les investissements dans les capacités de production d’électricité sobre en carbone (c’est-à-dire les énergies renouvelables et le nucléaire) qui seraient nécessaires pour remplacer les émissions produites par les technologies basées sur des combustibles fossiles au cours d’une période donnée2.
Pour les entreprises qui affichent actuellement une intensité carbone supérieure à celle de l’indice de référence, nous estimons les dépenses d’investissement à faibles émissions nécessaires pour atteindre l’intensité prévue par l’indice TPI. Pour les entreprises qui se sont fixées des objectifs plus ambitieux que l’indice de référence, nous estimons les dépenses d’investissement nécessaires pour atteindre leurs propres objectifs en matière de décarbonation. Le tableau 1 présente les résultats de notre analyse pour une compagnie d’électricité. En 2021, l’intensité de ses émissions (227 gCO2/kWh) n’était que légèrement supérieure à celle prévue par l’indice TPI Below 2 °C Pathway (221 gCO2/kWh), ce qui en faisait un chef de file du secteur. En 2030, cette entreprise s’est engagée à réduire l’intensité de ses émissions de quelque 60 % supplémentaires (pour passer de 227 à 93 gCO2/kWh, soit 59 %), ce qui n’est pas tout à fait conforme à ce que prévoit l’indice de référence (63 gCO2/kWh), mais reste plus ambitieux que la plupart de ses homologues.
Tableau 1 : Résultats de la modélisation des dépenses d’investissement pour une compagnie d’électricité
Source : Robeco, 2023.
Malgré des plans empreints de bonnes intentions, d’après nos calculs, l’entreprise devrait consacrer 98 milliards d’EUR de dépenses d’investissement pour atteindre cet objectif ambitieux, contre les 73 milliards d’EUR annoncés par l’entreprise (ce qui représente un écart de 25 milliards d’EUR en termes de dépenses d’investissement). Un écart aussi important remet en question la crédibilité des plans de réduction des émissions de l’entreprise.
L’entreprise a toutefois consenti suffisamment de dépenses d’investissement pour atteindre facilement les objectifs de l’indice de référence. Ceci, conjugué à ses réductions d’émissions précoces, fait de l’entreprise une pionnière et une cheffe de file de la transition, statut qu’elle devrait vraisemblablement conserver jusqu’en 2030 et au-delà.
Conclusion
Bien que la majorité des entreprises des services aux collectivités étudiées soient en mesure de couvrir les coûts du financement de leurs engagements en faveur de la décarbonation, elles n’ont pas réussi à mobiliser le financement nécessaire pour atteindre les objectifs de décarbonation prévus par l’indice TPI Below 2 °C Pathway. Des dépenses d’investissement insuffisantes dans les technologies à faibles émissions pourraient engendrer des dépenses d’investissement supplémentaires qui risquent de faire gonfler les coûts à l’avenir. Parallèlement à l’augmentation du coût d’investissement, les entreprises des services aux collectivités qui ne procèdent pas aux investissements nécessaires sont davantage exposées aux risques d’écoper d’une amende réglementaire et de voir leur réputation ternie pour s’être montrées trop lentes à la détente.
Alors que la transition s’accélère et que les gouvernements redoublent d’efforts pour honorer leurs engagements climatiques nationaux, nous risquons de plus en plus de connaître une dévaluation des actifs physiques à fortes émissions, comme les centrales électriques au charbon ou au gaz. Ces risques se traduisent par une éventuelle réduction des dividendes, une diminution du cours des actions et une sous-performance globale à mesure que les marchés de l’énergie mènent à bien leur transition vers le Net Zéro.
Au vu de ces risques substantiels, le modèle Trajectoire de Décarbonation Sectorielle pour les services aux collectivités peut s’avérer précieux pour aider les investisseurs à identifier les entreprises pionnières et cheffes de file de la transition ainsi que celles qui risquent d’exposer les portefeuilles au risque de la transition.
Notes de bas de page
1 Les scores ont été conçus de sorte à être comparables d’un secteur à l’autre. Si deux entreprises, l’une sidérurgique et l’autre des services aux collectivités, obtiennent un score élevé, cela signifie qu’elles sont totalement alignées sur la trajectoire de décarbonation de leur secteur respectif. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’elles ont la même intensité de carbone.
2 Cette méthode de calcul des dépenses d’investissement liées à la capacité de production d’énergie propre se fonde sur les estimations de coût de production de l’AIE pour 1 gigawatt (GW) de capacité pour les différentes technologies d’énergies renouvelables.
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