30-10-2020 · Interview

« À long terme, la plupart des actions ne surperforment pas les bons du Trésor. »

De plus en plus d’études montrent que seule une part infime de titres constitue quasiment toute la création de valeur sur le marché actions. À l’université d’État de l’Arizona, Hendrik Bessembinder est à la pointe dans ce domaine de recherche. Quelles sont ses conclusions et les répercussions pour les investisseurs ? Entretien.

Vos travaux récents se concentrent sur l’asymétrie des rendements des actions et le fait que celles-ci sont peu nombreuses à surperformer les obligations à court terme. Quelles sont les principales conclusions de ces recherches ?

« Parmi mes découvertes, deux grands constats m’ont surpris, à savoir qu’à long terme, la plupart des actions ne surperforment pas les bons du Trésor, et que la création durable de valeur actionnariale se concentre sur un nombre très limité de valeurs. »

Des milliers d’autres valeurs technologiques ont généré des performances décevantes à long terme, si bien qu’il ne s’agit pas simplement de dire "acheter les valeurs technologiques"

Les 4 % d’actions ayant contribué à l’intégralité de la création de valeur durant l’étude sont soit des entreprises qui existent depuis un certain temps et qui ont donc eu le temps d’accumuler de la valeur, soit des sociétés plus jeunes ayant généré une extraordinaire valeur en très peu de temps. Comment a évolué le profil des entreprises créatrices de richesse dans le temps ?

« Bien que je n’aie pas systématiquement étudié cet aspect, il est clair qu’un petit groupe de valeurs liées aux technologies, telles qu’Apple, Amazon, Alphabet et Facebook, représente une part substantielle de la récente création de valeur sur le marché, en particulier ces dernières années. Je fais un point sur cette question dans une nouvelle étude1. D’un autre côté, des milliers d’autres valeurs technologiques ont généré des performances décevantes à long terme, si bien qu’il ne s’agit simplement pas de dire "acheter les valeurs technologiques". »

Y a-t-il des points communs entre les entreprises qui génèrent de grandes quantités de valeur pour les investisseurs ?

« J’ai récemment publié un ensemble de quatre articles sur cette question2. J’y montre notamment que les firmes les plus performantes se caractérisent le plus souvent par une croissance organique rapide de leurs actifs (non basée sur les acquisitions) et en particulier par une confortable trésorerie. Ces sociétés sont également plus rentables en moyenne, malgré des dépenses de R&D plus élevées, tandis que la croissance de leurs profits est plus rapide que celle de leurs actifs.

En matière de taux de rendement accumulés, les entreprises les plus performantes sont souvent plus jeunes et enregistrent des rendements plus volatils que les firmes plus classiques, tandis que sur le plan de la création de valeur actionnariale, les plus performantes sont souvent plus anciennes et n’affichent pas de rendements particulièrement volatils. Ce qui peut surprendre, c’est que les firmes les plus performantes n’enregistrent pas forcément des rendements à court terme très asymétriques, alors que la distribution des résultats du marché à long terme est très asymétrique – ce qui aboutit à une création de valeur concentrée. »

Selon vous, comment évoluera l’asymétrie des rendements dans les cinq à dix prochaines années ?

« Je ne vois aucune raison de penser que l’avenir sera très différent du passé. Autrement dit, je suis certain qu’un nombre relativement faible d’actions générera la majeure partie des performances du marché dans les dix années à venir. Quelles seront ces valeurs est naturellement beaucoup plus difficile à prédire. »

Compte tenu de ces observations, quel serait votre conseil pour les investisseurs actifs ?

« Pour les investisseurs, tout dépendra de l’efficience du marché et de l’avantage comparatif qu’offrira l’identification des futures valeurs gagnantes (ou perdantes) à long terme. Je conseillerais aux investisseurs qui ne bénéficient pas d’un tel avantage comparatif et qui ne privilégient pas nettement l’asymétrie de s’en tenir aux fonds indiciels très diversifiés et à bas coût. Pour plus de détails, je vous renvoie à n’importe quel manuel d’investissement. En outre, un portefeuille peu diversifié a 50 % moins de chance de surperformer un portefeuille diversifié.

Si le marché n’est pas complètement efficient – et je pense que c’est le cas –, les investisseurs bénéficiant du bon avantage comparatif auraient intérêt à faire tout leur possible pour identifier le "prochain Amazon". La grande question est donc de savoir qui dispose du bon avantage comparatif. Les personnes qui pensent ou affirment avoir autant de talent que Warren Buffett sont plus nombreuses que celles qui le sont réellement. »

Cet article est extrait d’un entretien plus long publié dans notre dernier ouvrage « Le grand livre de l’investissement thématique ».

Le grand livre de l’investissement thématique