08-07-2024 · Vision

Dans la course à l’IA, les réseaux électriques trahissent leur âge

Les obstacles s’accumulent, car les objectifs en matière d’énergie propre, conjugués à la vitesse et à l’ampleur de la demande en électricité de l’IA, ont pris au dépourvu les services aux collectivités mal préparés et mal équipés. Les centres de données de prochaine génération font l’objet d’une course à l’électricité. Mais ce qui pourrait s’apparenter à un dilemme énergétique a en fait déclenché une avalanche d’opportunités pour les investissements dans l’énergie intelligente.

    Auteurs

  • Sanaa Hakim MBA - Co-Portfolio Manager Robeco Smart Energy

    Sanaa Hakim MBA

    Co-Portfolio Manager Robeco Smart Energy

The coming power surge

La demande d’électricité a été remarquablement stable au cours des deux dernières décennies. Cependant, l’électrification de l’économie et l’intensification du traitement dans les centres de données tirent la demande vers le haut de façon inattendue (voir Graphique 1). En Irlande, les centres de données accaparent déjà plus de 22 % de l’électricité totale et ce pourcentage devrait passer à environ 33 % en l’espace de quelques années seulement.1

En Asie, la Malaisie prévoit de multiplier par dix la capacité de données d’ici à 2026 afin de devenir un centre névralgique du numérique, ce qui fera plus que doubler la consommation d’électricité (+128 %).2,3 , L’AIE prévoit que d’ici 2026, les centres de données mondiaux consommeront annuellement autant d’énergie qu’un pays comme le Japon. Après des années de croissance progressive, d’ici la fin de la décennie, la demande d’électricité des centres de données au niveau mondial devrait croître d’environ 15 % par an.4

Graphique 1 – La part des centres de données dans le réseau électrique augmente à l’échelle mondiale

Graphique 1 – La part des centres de données dans le réseau électrique augmente à l’échelle mondiale

Source : IEA, 2023. La demande en énergie des centres de données consomme davantage de

Les services aux collectivités et les exploitants de réseaux doivent désormais satisfaire une demande d’électricité en hausse tout en composant avec le caractère vétuste et imprévisible des réseaux (voir figure 2). Les réseaux des pays du monde entier ont cruellement besoin d’être modernisés, car la production d’énergie est de moins en moins assurée par des unités « dispatchables » raccordées à des centrales électriques centralisées et de plus en plus par des unités intermittentes reliées à des installations de production d’énergie renouvelable décentralisées. La majorité des lignes de distribution ont plus de vingt ans dans les pays industrialisés.

« La majorité des lignes de distribution ont plus de vingt ans dans les pays industrialisés

Graphique 2 – Les réseaux vieillissants sont vétustes et inadaptés pour assouvir la demande d’électricité de prochaine génération

Graphique 2 – Les réseaux vieillissants sont vétustes et inadaptés pour assouvir la demande d’électricité de prochaine génération

Source : IEA, octobre 2023. Ce graphique montre l’âge des différentes parties du réseau énergétique. L’infrastructure de transport (Tx) achemine l’électricité depuis les centrales de production. L’infrastructure de distribution (Dx) représente le dernier kilomètre jusqu’aux utilisateurs finaux.

La course à l’énergie

Cette poussée de croissance rebat complètement les cartes de la dynamique des tendances de consommation d’énergie et a des répercussions sur les centres de données et les chaînes d’approvisionnement électriques au niveau mondial. Les grandes entreprises technologiques sont dans les starting-blocks pour prendre pied sur le marché potentiellement révolutionnaire de l’IA. Pour ce faire, il faut construire davantage de centres de données animés par des puces GPU de pointe, qui nécessitent jusqu’à cinq fois plus d’électricité que les puces CPU utilisées à des fins de traitement classique par les centres de données.5

Comme l’a résumé Mark Zuckerberg : « l’énergie, et non la puissance de calcul, sera le principal goulet d’étranglement pour les progrès de l’IA. » L’une des grandes préoccupations que suscite la croissance tant attendue de la puissance de calcul des centres de données est la disponibilité des raccordements au réseau. Les principaux problèmes sont le nombre limité de lignes électriques, postes et transformateurs de tension limités, ainsi que les retards dans les processus de planification et d’autorisation. Les délais d’exécution des projets énergétiques dépassent souvent les cinq ans dans certaines régions d’Europe et des États-Unis.

L’énergie, et non la puissance de calcul, sera le principal goulet d’étranglement pour les progrès de l’IA. » – Mark Zuckerberg

C’est une course à l’énergie. Une étude récente menée par Morgan Stanley a montré que les exploitants seraient prêts à doubler le prix payé aux exploitants locaux d’électricité afin d’y avoir accès avant leurs concurrents. Ces scénarios se manifestent partout dans le monde et la ruée vers l’électricité se reflète dans l’analyse prophétique du PDG de NVIDIA* selon laquelle de nombreuses nations se presseront de mettre en place leur propre infrastructure d’IA « souveraine » afin de rester compétitives et traiter les données localement.

De nombreuses nations se presseront de mettre en place leur propre infrastructure d’IA “souveraine” afin de rester compétitives et traiter les données localement

Les contraintes de capacité et les objectifs climatiques mettent des bâtons dans les roues des réseaux

Les objectifs de neutralité carbone viennent encore compliquer les choses. Les gouvernements et les entreprises se sont engagés à se décarboner d’ici 2050, ce qui limite la production d’électricité aux sources d’énergie sobres en carbone. L’énergie solaire est considérée comme propre et son infrastructure se construit rapidement par rapport à celle d’autres sources d'énergie. Une ferme solaire peut être installée en moins d’un an, contre près de six ans pour une centrale nucléaire (voir Graphique 3).

Graphique 3 – Délais de construction des infrastructures énergétiques (en mois, puissance attendue en

Graphique 3 – Délais de construction des infrastructures énergétiques (en mois, puissance attendue en

Source : Lazard, 2021. IEA, 2022.

En outre, même si l’on construisait suffisamment d’installations de production d’énergies renouvelables, le caractère intermittent de la production d’électricité et la fragmentation de la distribution d’électricité entre sites distants rendent les énergies renouvelables inadaptées pour assurer l’approvisionnement en l’énergie de base stable nécessaire non seulement pour les centres de données, mais aussi pour tout le réseau.

Par conséquent, les services aux collectivités combinent les énergies renouvelables à la production à partir de gaz naturel pour assurer l’équilibre entre les objectifs de transition à long terme et les demandes à court terme (voir Graphique 4). La pléthore de demandes de projets d’énergies renouvelables qui atteignent le stade avancé des études de raccordement avec les exploitants de réseau témoigne du grand intérêt des promoteurs. Si tous ces projets ne garantissent pas systématiquement un raccordement au réseau, l’importante nouvelle capacité apportée par de ceux qui s’y raccordent mettront à encore plus rude épreuve la capacité de transmission.

Graphique 4 – L’intérêt pour les énergies renouvelables explose, ce qui compromet la stabilité du réseau

Graphique 4 – L’intérêt pour les énergies renouvelables explose, ce qui compromet la stabilité du réseau

Quel est l’incidence sur les investissements ciblant l’énergie intelligente ?

Selon nous, la course à l’IA qui se profile à l’horizon est une tendance pluriannuelle qui recèlera une foule d’opportunités d’investissement dans les secteurs de l’industrie, des technologies, des énergies renouvelables et des services aux collectivités.

Les fournisseurs de matériel pour les réseaux électriques figurent parmi les premiers segments à tirer parti de cette tendance. En effet, les dépenses d’investissement annuelles mondiales dans les réseaux électriques devraient augmenter à un CAGR de 8 % entre 2022 et 2032. Au sein de ce groupe, l’un des secteurs les plus prometteurs est celui des fabricants de câbles haute tension. Ces « interconnecteurs » acheminent l’électricité sur de longues distances (y compris entre pays) en essuyant des pertes minimales. Ils sont également mieux à même de gérer l’énergie produite à partir de différentes sources, ce qui permet d’assurer la synchronicité des différents réseaux.

L’efficacité énergétique du matériel en fin de vie est également une solution cruciale. Le refroidissement s’impose d’ores et déjà comme le meilleur moyen d’améliorer l’efficacité énergétique des centres de données. Les puces GPU destinées à l’IA sont des composants à chaleur intense et sont regroupés par dizaines de milliers dans des « hyperscalers ». Les nouvelles solutions de refroidissement liquide, comme le refroidissement direct sur puce (DTC), permettent de réaliser d’énormes économies d’énergie par rapport au refroidissement classique par air.6

Et bien que moins de 25 % des centres de données utilisent actuellement des sources d’énergie sobres en carbone, la pression réglementaire confère une dimension cruciale à la production d’énergie renouvelable et constitue l’élément moteur des investissements dans tous les maillons de la chaîne de valeur de l’énergie. Et les plus gros clients des centres de données que sont Amazon, Meta, Microsoft et Google* montrent déjà la voie à suivre. Ils se sont tous fixé des objectifs climatiques ambitieux à court et à long terme. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’ils soient également les plus grands acheteurs commerciaux d’énergies renouvelables auprès des services aux collectivités et des exploitants de réseaux.

* La stratégie Smart Energy de Robeco n’est pas investie dans les titres cités, et les références qui y sont faites ne doivent aucunement être interprétées comme des recommandations d’achat, de vente ou de détention desdits titres ou de tout autre titre.