22-03-2021 · Vision

Hydrogène : entre espoir et effet de mode

La décarbonation des économies nationales est au cœur des plans gouvernementaux. Mais il existe un fossé important entre le potentiel de l’hydrogène et son adoption et utilisation dans les secteurs d’activité. Dans le transport routier, des options plus économiques et plus durables existent déjà.

    Auteurs

  • Giacomo Melegati - SI Research Associate

    Giacomo Melegati

    SI Research Associate

Un élément crucial

L’hydrogène en tant que vecteur d’énergie suscite un intérêt accru de la part des entreprises, des gouvernements, des investisseurs et du grand public. Il est considéré comme le maillon essentiel de la transition énergétique vers des sources propres et renouvelables. Résultat, les pays et les entreprises investissent massivement dans la recherche afin de le rendre viable, en particulier dans les industries énergivores et polluantes.

L’hydrogène n’a rien d’une nouveauté. Dans les secteurs industriels, qu’il s’agisse du pétrole, de l’acier ou des fabricants de produits chimiques et de fertilisants, la forme « grise » de l’hydrogène sert déjà à compléter une demande d’énergie colossale. Alors que la demande mondiale d’hydrogène n’a cessé d’augmenter ces dernières décennies (120 millions de tonnes en 2019), la production est loin d’atteindre les niveaux nécessaires pour couvrir les futurs besoins industriels d’une économie bas carbone. Elle doit donc être considérablement accrue.

Qui plus est, cette production doit devenir propre et verte, et donc délaisser la forme grise et polluante qui génère 830 millions tonnes d’émissions de CO2 chaque année. À l’heure actuelle, l’hydrogène vert (produit par électrolyse de l’eau à partir d’énergie renouvelable, qui permettra d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050) représente moins de 4 % de la production totale. L’augmentation de la production est nécessaire mais onéreuse, et freinée par plusieurs difficultés techniques dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.

Compte tenu du durcissement des normes d’émissions, les véhicules à hydrogène constituent la solution de premier choix pour réduire les émissions dans le transport et contribuer à sa transition

Un potentiel immense

L’idée est simple : utiliser un courant électrique pour séparer les molécules d’hydrogène et d’oxygène contenues dans l’eau. Si ce courant électrique provient de sources renouvelables, le processus n’émet pas de carbone. L’inversion du processus à l’aide d’une pile à combustible (qui provoque une nouvelle réaction entre l’oxygène et l’hydrogène) crée un courant électrique (ainsi que de l’eau comme sous-produit). Mais les choses se compliquent lorsqu’il s’agit de passer à une échelle supérieure.

À chaque étape de la chaîne d’approvisionnement de l’hydrogène (stockage, transmission et distribution), les difficultés augmentent proportionnellement à l’échelle. Produire de l’hydrogène vert à une échelle industrielle reste le principal obstacle et explique pourquoi les volumes restent faibles.

Malgré les importantes difficultés d’ordre technique, économique et logistique, la plupart des spécialistes s’accordent à dire que d’ici cinq à dix ans, ces obstacles seront levés et le potentiel de décarbonation de l’hydrogène sera atteint.

Le transport routier est un secteur très émetteur, mais avec la disparition attendue du moteur à combustion interne, il est déjà en pleine mutation. Compte tenu du durcissement des normes d’émissions, les véhicules à hydrogène constituent la solution de premier choix pour réduire les émissions dans le transport et contribuer à sa transition. Pour autant, une analyse plus approfondie montre qu’il existe une meilleure solution pour l’avenir : les véhicules électriques à batterie (VEB).

Progrès en matière de batterie

Certes, les batteries présentent des inconvénients. D’une part, elles sont lourdes, ce qui limite leur autonomie, alors que les véhicules à pile à combustible (PAC) sont plus rapides à recharger. En outre, leur fabrication consomme beaucoup d’énergie, et le recyclage n’est pas optimal d’un point de vue économique. Elles sont produites avec des minéraux tels que le cobalt, dont l’extraction pose des problèmes d’ordre éthique.

Mais même ces arguments défavorables aux batteries perdent du terrain. Des innovations répondant aux difficultés ci-dessus émergent dans tous les aspects de la technologie des batteries (poids, autonomie et temps de charge, jusqu’aux matières premières utilisées dans la fabrication et au recyclage).

Les réseaux électriques traditionnels rendent les véhicules à hydrogène plus polluants que les moteurs à combustion

Les réseaux électriques traditionnels rendent les véhicules à hydrogène plus polluants que les moteurs à combustion

Source : Cox et al., 2020

D’autant plus que les VEB présentent aussi leurs propres avantages. Ils sont actuellement moins chers que les véhicules à hydrogène (les composants des piles sont actuellement onéreux) ; ils génèrent sur toute leur durée de vie des émissions et une empreinte carbone plus faibles (alors que la plupart des piles à hydrogène continuent d’être fabriquées à partir de sources polluantes, voir ci-contre) ; et leur efficacité énergétique est supérieure (tandis que les voitures à hydrogène vert ont toujours besoin de deux fois plus d’électricité renouvelable pour la même autonomie).

De plus, les VEB sont appréciés des consommateurs et les ventes augmentent dans le monde entier. Cette hausse de la demande se traduit par des économies d’échelle qui favoriseront la baisse des prix et l’augmentation des dépenses d’infrastructure.

Certes, les perspectives des véhicules à hydrogène s’améliorent lorsqu’on envisage une utilisation à grande échelle, nécessaire pour le transport public. Mais là aussi, les batteries l’emportent en termes de durabilité et de coûts économiques lorsque les infrastructures et les réseaux existent déjà.

Fret longue distance et chariots élévateurs

Les avantages de l’hydrogène (autonomie, poids et temps de recharge) en font la solution idéale pour le fret longue distance, et les entreprises telles que Daimler, Shell, Hyundai et Toyota investissent massivement dans le développement de flottes fonctionnant à l’hydrogène. Dans le même temps, les fabricants de VEB cherchent à optimiser le design des véhicules afin d’en réduire le poids.

Par ailleurs, sur les marchés comme l’UE, les réglementations qui obligent les chauffeurs à prendre des pauses ont réduit les avantages des véhicules électriques à PAC en matière de temps et de coût. Concernant le transport longue distance, les trains de fret alimentés par caténaires offrent une solution plus économique et durable.

Maximiser l’efficience dans les entrepôts nécessite que les chariots élévateurs fonctionnent à presque 100 % de leur capacité. Contrairement aux chariots élévateurs à batterie, les piles à combustibles peuvent fonctionner pendant de longues périodes et ne nécessitent pas de longs temps de recharge durant lesquels la machine et le conducteur sont au repos. Ce surcroît d’efficacité explique pourquoi les géants de l’entreposage et de la distribution comme Walmart et Amazon agrandissent leurs flottes de chariots élévateurs à hydrogène.

Le buzz autour de l’hydrogène est-il donc justifié ? Oui, mais cette tendance doit être exploitée dans les bons secteurs

Un effet de mode exagéré ?

Le buzz autour de l’hydrogène est-il donc justifié ? Oui, mais cette tendance doit être exploitée dans les bons secteurs. Bien qu’il existe des exceptions, notamment les chariots élévateurs, les véhicules à batterie sont une solution plus appropriée pour décarboner le transport routier, avec un effet immédiat.

Au fur et à mesure des progrès technologiques, de l’augmentation de la production et de l’offre, les espoirs suscités par l’hydrogène vert pour décarboner les secteurs très émetteurs se concrétiseront. Nous avons encore quelques décennies à vivre avant 2050, mais les dix prochaines années seront particulièrement cruciales pour déterminer si les technologies de l’hydrogène peuvent surmonter les difficultés et transformer cet espoir en une solution concrète pour alimenter les économies du monde.

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