L’équipe Actionnariat actif vient de clôturer un programme de dialogue actionnarial lancé en 2019 et axé sur la lutte contre la perte de biodiversité liée à la déforestation provoquée par la production de cinq produits de base clés : le cacao, la pâte à papier, le caoutchouc naturel, la viande de bœuf et le soja. Ces matières premières sont toutes utilisées à grande échelle dans les secteurs de l’alimentation, des matériaux et des biens de consommation, autant de secteurs dans lesquels Robeco investit.
Les entreprises qui s’approvisionnent en produits de base ont donc été invitées à prendre des engagements crédibles en matière de déforestation « zéro », à évaluer avec rigueur l’impact sur la biodiversité et à résoudre, dans leurs chaînes d’approvisionnement, les problèmes sociaux qui amplifient les déséquilibres de pouvoir et encouragent davantage la déforestation. Chacune d’elles devaient s’employer activement à inverser la tendance en matière de destruction de la nature d’ici à 2030 au plus tard.
L’engagement s’est achevé en juin et les résultats sont mitigés. Environ deux tiers des initiatives de dialogue actionnarial menées sur ce thème ont été couronnées de succès. « Au cours des trois dernières années, nous avons observé une augmentation du nombre des entreprises qui se sont fixées des objectifs de zéro déforestation et qui ont renforcé leurs systèmes de suivi pour évaluer le niveau d’exposition de leurs fournisseurs aux risques liés à la déforestation », explique Laura Bosch, spécialiste de l'engagement.
Les risques en amont des chaînes de valeur
« Toutefois, des problèmes subsistent en ce qui concerne le champ d’application de certaines politiques adoptées et les mesures générales de suivi visant à prévenir et à gérer les risques de déforestation en amont de leurs chaînes de valeur. Certaines entreprises qui s’approvisionnent en soja et en viande de bœuf ont encore du mal à inclure la déforestation illégale et la végétation indigène dans les engagements qu’elles ont pris.
En revanche, les entreprises de l’industrie papetière sont en général intégrées verticalement et s’approvisionnent en plus petits volumes auprès de fournisseurs externes. Elles disposent donc de systèmes de traçabilité et de suivi plus performants. Elles peuvent également s’appuyer sur des régimes de certification bien établis tels que le Forest Stewardship Council (FSC) et le Programme for the Endorsement of Forest Certification (PEFC).
Pour les entreprises qui s’approvisionnent en cacao et en caoutchouc, la traçabilité et le suivi constituent encore une lutte à contre-courant. Ces matières premières agricoles se caractérisent par une forte dépendance envers de petits exploitants et l’implication de plusieurs intermédiaires dans la chaîne de valeur, d’où un manque de visibilité globale dans la chaîne d’approvisionnement. »
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Évaluer l’impact sur la biodiversité
Le principal facteur de perte de biodiversité, c’est le changement d’affectation des sols, principalement le déboisement de zones forestières pour y élever du bétail ou y planter des cultures à forte valeur ajoutée, comme l’huile de palme qui fait l’objet d'une campagne spécifique de dialogue actionnarial depuis 2018. Les forêts sont non seulement des habitats naturels, dont la destruction met en danger les populations indigènes, mais aussi d’immenses puits de carbone qui peuvent contribuer à réduire le réchauffement climatique.
Il est donc essentiel que les entreprises s’engagent en faveur de la conservation et la restauration des écosystèmes dans les régions où l’approvisionnement en produits de base a eu des conséquences désastreuses. « Dans le cadre de notre dialogue actionnarial, nous avons demandé aux entreprises de prendre des mesures adéquates visant à préserver et à restaurer les écosystèmes, mais aussi d’améliorer la publication d’informations concernant les sites qui se trouvent dans des zones renfermant un stock important de carbone », explique Laura Bosch.
« La plupart des entreprises ont adopté des projets de restauration et de conservation, mais ces projets sont souvent mis en œuvre de façon ponctuelle, en l’absence de toute réflexion visant à atténuer les effets négatifs de leurs stratégies d’approvisionnement. Elles n’ont pas été nombreuses à avoir pu mobiliser suffisamment de fonds pour réaliser des progrès dans ce domaine. Certaines entreprises ont émis des obligations vertes ou financé des projets pilotes visant à restaurer ou à préserver des écosystèmes où elles s’approvisionnent en matières premières agricoles. »
Évaluation des risques
La perte de biodiversité est un risque qui doit être évalué tant par les investisseurs que par les entreprises. Dans le monde entier, les autorités de régulation s’efforcent d’encourager le secteur privé à gérer ce risque. Par exemple, le règlement SFDR (règlement européen sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers) exige désormais des investisseurs qu’ils communiquent les principales incidences négatives de leurs investissements, dont l’une concerne les effets direct des entreprises sur la biodiversité.
Le lancement du Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives au climat (TNFD) en septembre 2023 va permettre de normaliser la publication d’informations sur la gestion des risques et des opportunités que soulève la biodiversité.
Le règlement européen sur la déforestation (EUDR) exige également que les entreprises qui importent des produits liés à des matières premières agricoles présentant un risque élevé prouvent que ces produits ne sont pas liés à la déforestation. « Dans le cadre de nos initiatives de dialogue actionnarial, nous avons demandé aux entreprises d’améliorer la traçabilité des matières premières qu’elles achètent et de procéder à une évaluation des risques pour comprendre où se situent les risques dans leurs chaînes d’approvisionnement », fait observer Laura Bosch.
« Quand les entreprises vérifient leur dépendance à l’égard de différentes espèces de plantes ou qu’elles tentent de calculer leur impact sur la biodiversité, rares sont celles qui se servent de l’Integrated Biodiversity Assessment Tool (IBAT) ou d’outils du même type.
Nous espérons que l’intégration du nouveau cadre du Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives au climat (TNFD) facilitera l’adoption d’une approche globale et cohérente de la manière dont les entreprises évaluent leur impact sur la biodiversité. »
Davantage d’informations publiées
Ce qui est également encourageant, c’est l’augmentation des informations publiées par les entreprises en matière de biodiversité. « Nous constatons que certaines entreprises commencent à communiquer leurs volumes de produits « zéro déforestation » et d’émissions de Scope 3 liés à leur approvisionnement en matières premières, autant d’informations qui n’étaient pas divulguées il y a quelques années encore », déclare Laura Bosch.
« L’affiliation à des régimes de certification a également augmenté au fil du temps, comme en témoigne le niveau relativement élevé de certification FSC et PEFC tout au long de la chaîne d’approvisionnement des entreprises de l’industrie papetière.
En revanche, d’autres matières premières agricoles, telles que le caoutchouc naturel ou le soja, ne bénéficient toujours pas d’un régime de certification crédible adopté par l’ensemble du secteur. Les principaux problèmes auxquels se heurte la publication d’informations concernent la divergence des définitions utilisées par les entreprises pour rendre compte de leurs efforts en matière de déforestation, l’absence de vérification indépendante de certaines mesures et l’absence générale d’informations publiées sur les hectares de terres faisant l’objet d’un changement d’utilisation. »
Les initiatives de dialogue actionnarial en cours
Le thème de la déforestation vient de prendre fin, mais les initiatives visant à réduire la perte de la biodiversité vont se poursuivre. Le groupe d’investisseurs Nature Action 100 va concentrer ses efforts sur les entreprises et les secteurs dont les incidences négatives sur la nature sont les plus importantes. Il va procéder de la même façon que le groupe Climate Action 100+, dont la campagne menée auprès des plus gros émetteurs de carbone du monde a été une réussite.
« Par ailleurs, nous poursuivons notre dialogue avec les autorités publiques locales de façon à les aider à réduire les taux de déforestation au Brésil et en Indonésie », précise Laura Bosch. « Nous ne pouvons pas répéter une nouvelle décennie de destruction de l’environnement si nous voulons vraiment enrayer le réchauffement climatique.
Il ne fait aucun doute que la lutte contre la perte de biodiversité va connaître un regain d’intérêt au cours des dix prochaines années. Les entreprises et les investisseurs sont directement exposés à des réglementations, qu’elles soient contraignantes ou non, qui exigent une plus grande transparence sur la manière dont leur impact sur la nature et leur dépendance à son égard sont pris en compte au sein de leurs organisations. »